Égalité des genres : la revalorisation des femmes sur le marché de l’art
Ce n’est plus un secret, les artistes femmes ont longtemps été effacées de l’histoire de l’art. Ce constat a amené un long travail de revalorisation de leurs travaux, commencé il y a quelques années. Ainsi, selon le Rapport sur le marché de l’Art ultra-contemporain 2022 publié par ArtPrice, 7 femmes occupent désormais le top 10 des artistes les plus vendu.e.s mondialement. Ce résultat impressionnant laisse-t-il pour autant présager un marché de l’art équitable ?
Une histoire de la revalorisation des artistes femmes en France
C'est en 2009 que le manque de valorisation du travail des artistes femmes en France est mis en lumière, à l’occasion de l’exposition elles@centrepompidou sous le commissariat de Camille Morineau, alors conservatrice des collections contemporaines pour le centre d’art parisien. Animée par cette volonté de rendre hommage aux femmes invisibilisées par l’histoire de l’art, la commissaire d’exposition propose au Centre Pompidou une exposition uniquement dédiée aux artistes femmes de leur collection. Celui-ci remarque alors un cruel manque de représentation féminine dans leur collection, et entame un travail d’acquisition important afin de pouvoir réaliser une exposition qui rassemble 150 artistes femmes.
Le travail de Camille Morineau ne s’arrête pas là puisqu’en 2014, elle co-fonde l’association AWARE (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions) qui œuvre pour la parité des genres dans une réécriture de l’histoire de l’art. Si elle est l’une des pionnières de cette démarche en France, on remarque aujourd’hui un nouvel intérêt pour les artistes femmes, notamment grâce aux expositions Elles font l’abstraction organisée en 2021 au Centre Pompidou ou Pionnières organisée en 2022 au musée du Luxembourg à Paris.
Une problématique à l’échelle mondiale
Ce changement de paradigme s’étend, depuis 2019, dans toute la société occidentale. L’exemple le plus représentatif de cette mouvance est le Baltimore Museum of Art dans le Maryland. Remarquant que parmi leur collection de plus de 95 000 objets d’art, seulement 4% étaient l’œuvre de femmes, le BMA publie un communiqué fin 2019 afin d’annoncer une initiative étonnante : le musée s’engage pour l’année 2020 à n’acheter que des œuvres dont l’artiste est une femme. Nous pouvons également citer le NMWA (National Museum of Women in the Arts) qui, depuis sa fondation en 1981, se consacre exclusivement à la mise en valeur des œuvres de femmes artistes. Face au succès croissant de sa collection, le musée a engagé des procédures de rénovation et d'agrandissement en 2021 et jouit, aujourd'hui encore, d'une reconnaissance mondiale à l'engouement exponentiel.
Si cette mesure semble être un exemple isolé et radical, il ne faut pas minimiser les efforts d’autres musées qui expriment leur volonté de visibiliser les artistes femmes par le biais d’expositions consacrées. En 2023, sept musées prévoient notamment des solo-shows de l’artiste Tamara Kostianovsky alors que le musée Guggenheim dédie une exposition à la sculptrice Sarah Sze. Au Tate Modern de Londres, des mesures similaires sont adoptées et donnent lieu à des expositions telles que la rétrospective du travail de Lynette Yiadom-Boakye qui s’est terminée en février 2023.
Le marché en mouvement
Saisissant cette nouvelle visibilité des artistes femmes, le marché de l’art s’empare de cette problématique en parallèle des institutions. En effet, alors que le Rapport sur le marché de l’Art contemporain publié par Artprice en 2017 remarquait que les femmes ne représentaient alors que 14% des 500 artistes les plus vendus, le Rapport sur le marché de l’Art ultra-contemporain de 2022 remarque que 7 femmes occupent le top 10 des artistes les plus vendu.e.s. En l’espace de cinq ans, ce changement assez remarquable s’accompagne également du constat que 90% des œuvres d’artistes femmes dépassent leurs estimations hautes, et sont majoritairement plus performantes que les œuvres créées par des hommes en termes de chiffre d'affaires et de niveaux d’adjudication.
Des mesures à prendre en perspective
Il apparaît cependant qu’il soit trop tôt pour crier victoire. Si les artistes femmes contemporaines jouissent d’une visibilité équitable, les femmes marquantes de l’histoire de l’art peinent toujours à gagner le haut du classement. En effet, malgré la circularité remarquable des œuvre d'artistes femmes majeures telles que Sophie Calle ou Niki de Saint Phalle, qui gagnent mêmes les catalogues de récentes plateformes de revente en ligne telles qu'Artransfer, on remarque un problème de valorisation des prix d'adjudication qu'elles peuvent atteindre. Ainsi, alors que l’année 2022 comptait plusieurs ventes records, aucune femme n’a atteint le haut du classement et dépassé les 30 millions d’euros. Georgie O’Keeffe détient donc toujours le record d’adjudication pour une artiste femme, avec une œuvre adjugée à 44,4 millions en 2014.
De plus, et pour conclure, aujourd’hui encore de nombreuses artistes sont mentionnées par le prisme de leur entourage masculin, c’est le cas notamment de Dora Maar, pour n’en citer qu’une, encore majoritairement associée à la figure de Pablo Picasso. Si des historiennes de l’art, telles que Katie Hessel dans Histoire de l’art sans les hommes paru en 2022, tendent à renverser cet ordre de pensée, il ne faut pas négliger cette problématique encore présente au niveau historique et institutionnel.
Pierre-H. Way pour Artransfer
Lien du rapport : https://fr.artprice.com/artprice-reports/le-marche-de-lart-contemporain-2022/la-nouvelle-et-preponderante-place-des-femmes